Opinion

Voici une autre réflexion sur Charlie, plus approfondie mais aussi plus sujette à discussion, qui prouve que les avis sont très partagés.

Vous avez dit Charlie ?

Il y a toujours des abrutis de dieu quel que soit le nom qu’ils lui donnent, des enténébrés de dogmes, pour se lever et combattre tout ce qui fait l’être humain et sa dignité : son esprit critique, sa liberté de penser.

Jusqu’au 7 janvier dernier, on pouvait naïvement croire que les fanatiques religieux − des intégristes catholiques voulant faire interdire des spectacles « blasphématoires » aux exaltés islamistes prétendant empêcher la représentation de leur idole, sans oublier les fondamentalistes juifs qui prétendent asservir toute la Palestine au nom du Grand Israël biblique − ne s’en prenaient qu’à la liberté d’expression, ce qui était déjà s’en prendre au fondement de la démocratie. On sait aujourd’hui qu’ils sont tout aussi impatients de massacrer ceux qui ne leur ressemblent pas et ne partagent pas leurs élucubrations.

Je suis plutôt ulcéré par certaines réactions, même si le formidable rassemblement populaire spontané, qui a pris de court politiques et médias, aide à ne pas désespérer. Ulcéré parce que j’ai entendu parler de provocations à propos des dessins de Charlie hebdo. Comme si la provocation ne venait pas de ceux qui ont le culot de vouloir interdire les critiques de s’exprimer, de vouloir imposer silence à la planète ! Les caricaturistes ne font que répondre légitimement à l’arrogance des censeurs et chaque citoyen a une dette envers eux.

Il est, me semble-t-il, une évidence : le sacré des uns n’étant pas celui des autres, il n’y a que la tolérance pour nous permettre de vivre ensemble, celle que la laïcité réussit plutôt bien à organiser.

Malheureusement, des confusions viennent la contrarier. Il en est une particulièrement néfaste qui se focalise sur le terme d’islamophobie. Prétendant nous garder de tout racisme, elle entérine de fait une sorte de prohibition de la critique de l’islam et par extension de toute religion. Que sous-entend-elle ? Que l’hostilité à l’islam recouvre une hostilité aux Arabes ? J’entends bien que certains exploitent ce filon. Mais la confusion qu’elle apporte est au moins aussi dangereuse : tous les musulmans ne sont pas arabes et tous les Arabes ne sont pas musulmans ! Cette confusion procède au fond d’un racisme plus sournois, qui consiste à vouer un peuple à une religion, à l’y enfermer. Mais c’est là faire injure à tous ses membres, croyants ou non, en les imaginant incapables d’indépendance à l’égard du religieux. C’est notamment dénier tout crédit à ceux, athées, qui ferraillent contre le « sacré » qu’on veut leur imposer, comme ont ferraillé en Occident les philosophes des Lumières, plus tard les libres penseurs et enfin ceux qui ont conquis de haute lutte le privilège de la laïcité. Et l’injonction trop entendue – « Attention aux amalgames ! » – instaure un couvre-feu sur la mise en examen du fait religieux, et cela à cause de niais peut-être bien intentionnés mais qui se satisfont de la bonne conscience que leur procure une protestation facile.

Plus grave peut-être : cette confusion implique le présupposé que les religions seraient a priori respectables et par voie de conséquence non susceptibles d’analyses et de débats. Qu’elles aient été, toutes ou presque, à l’origine d’effroyables guerres et carnages est pourtant incontestable. Mais on ne peut occulter qu’elles sont aussi à la source de faits de civilisation et de démarches individuelles ou collectives d’ouverture aux autres, d’interrogations spirituelles et de progrès dans l’humanisation des peuples. Il est des croyants qui s’en tiennent à l’esprit, quand d’autres s’accrochent à la lettre (c’est même à ça qu’on reconnait les imbéciles : le littéralisme !) ; hélas, dans ce domaine la bêtise fait souvent de sérieux dégâts et ne pardonne pas…

Parler d’instrumentalisation politique des religions est une lapalissade sans grand sens : les religions ont, depuis toujours, une dimension politique prépondérante. La résurrection du fanatisme est l’occasion de s’en convaincre, sans pousser des cris d’orfraie en feignant de s’offusquer d’une « montée de l’islamophobie » qui n’est que le signe d’interrogations et d’une méfiance légitimes. Méfions-nous des religions parce qu’elles portent en elles cet absolu – la foi, la certitude pour le croyant de détenir la vérité – qui peut conduire à la négation de l’autre ! Les manifestations protestataires de certains musulmans contre les caricatures de Charlie Hebdo, comme la demande de certains intégristes catholiques ou autres évangélistes de créer un délit de blasphème, le démontrent. Et ce qui me navre est qu’il est des gens pour y souscrire au nom du « respect »… Mais il est vrai que la « bienpensance » est devenue la face réactionnaire de certains comme l’ordre moral fut celle d’autres. Il faut donc encore rappeler une évidence : le respect est dû aux personnes, pas à leurs croyances, leurs idéologies, leurs représentations du monde, leurs utopies.

Reste enfin la fraternité. Il n’y a pas besoin de dieu pour cela, les révoltés de tous les temps et de tous les pays l’ont montré, même si les révolutionnaires ont parfois hélas prouvé qu’on pouvait aussi l’assassiner avec la liberté. En tous cas, rien ne m’alarme plus que d’entendre parler de « frères en religion ». Car la fraternité est universelle, sinon le mot ne recouvre que l’esprit de clan : une fraternité de meute, d’un groupe ligué contre le reste du monde.

Sentiment qui fait évidemment défaut aux chiens de dieu (pardon pour les chiens), ce qui ne doit pas, il me semble, amener pour autant à les considérer comme des monstres. Non, hélas, ils sont des humains, comme le furent les nazis et tant d’autres fléaux des peuples, et quoique amputés de leur capacité d’empathie autant que de leur libre arbitre. Telle est la banalité du mal, qui fait que nous n’avons que la vigilance de la pensée et l’exercice de l’esprit critique, pour ne pas risquer un jour de leur ressembler.

Voilà ce que signifie pour moi être Charlie. En souhaitant du même coup aux misérables imbéciles qui nous endeuillent d’avoir un jour l’intuition qu’ils vont finir par rôtir aux enfers, puisqu’ils y croient.

Et que les crayons et les lettres finissent par l’emporter durablement sur les kalachnikovs !

Charlie

JMD