Editorial

Les conséquences d’un printemps pourri

Qui ne connait les gentilles Evelyne Dehliat et Catherine Laborde ? Saintes patronnes des anticyclones, elles nous parlent quotidiennement de la pluie et …ah ben oui, de la pluie ! Sans doute l’avez-vous remarqué : le printemps est un peu moite cette année. Bref, la météo fait parler d’elle. Tellement, d’ailleurs, que ce discours récurrent a fini par m’agacer. L’idée m’a même effleuré un instant d’interdire à quiconque de me parler du temps qu’il fait. J’ai même envisagé de saisir le parlement pour que cette idée nouvelle prenne force de loi. C’est vous dire…

Mais que se passerait-il alors, sans repères, sans prévisions ?

On transporterait toujours un sac de voyage avec soi: pour y ranger un pull en cas de froidure, un maillot en cas de canicule, un parapluie en cas de pluie, un paratonnerre en cas d’orage et un bunker en cas de tornade… Bref, on ferait comme les escargots qui transportent leur vie sur leurs épaules. Les rues deviendraient un gigantesque vestiaire où tout le monde se changerait à loisir au gré du vent et, bien évidemment, les cas d’agressions sexuelles augmenteraient considérablement. Une catastrophe !

On ne saurait plus quoi dire à sa boulangère, ses collègues, son voisin : il faudrait trouver un autre sujet de prédilection pour adresser la parole à de quasi-inconnus. Du coup, on finirait par déblatérer toutes les conneries folies qui nous passent par la tête : « Bonjour, vous ne trouvez pas que le mot « croûte » sonne mal à l’oreille ? », « L’érésipèle est en avance, cette année ! » « Un peu de psoriasis ne nous ferait pas de mal ! » … Mauvaise idée !

Chacun élèverait chez lui une grenouille domestique en catimini : pour savoir avant tout le monde, être détenteur d’un embryon d’information que les autres n’auraient pas et détenir ainsi une infime parcelle de pouvoir. Un trafic juteux se mettrait en place à l’échelle mondiale au détriment de ces pauvres bestioles et bientôt la gent batracienne serait classée espèce menacée. Pas bon pour la biodiversité !

De nouveaux gourous feraient leur apparition : tout le monde irait sonner chez le vieux Roger qui a des douleurs aux articulations lorsque le temps va changer. De nouvelles sectes verraient le jour, au grand dam des curés, pasteurs, rabbins et autres ulémas !

L’obscurantisme des temps anciens serait « tendance » : les gens feraient la queue devant le domicile de personnalités mystiques capables de lire dans une bouse de vache ou dans un bol de soupe la température du lendemain. Un camouflet pour la science !

Un véritable marché noir se développerait autour des prévisions météorologiques : toujours pour les mêmes grossières raisons, et nous serions capables de débourser une centaine d’euros au coin d’une ruelle obscure pour qu’un dealer de beau temps nous vende la température du lendemain. Une gabegie !

Bouger constituerait un réel danger : prendre l’avion deviendrait un sport extrême capable de faire monter l’adrénaline d’un loir dépressif et monter à bord d’un bateau de croisière relèverait de la tentative de suicide. On allumerait un cierge avant de faire un trajet en voiture et le commerce de trottinettes deviendrait florissant. Un bouleversement pour l’économie planétaire !

On retournerait vivre dans les cavernes : pour ne plus voir le jour, le ciel et ses nuages, ne plus éprouver cette angoisse existentielle qui nous rongerait. Nous rendrions un culte aux forces de la nature qui nous auraient amenés à cette régression, à cet état quasi-simiesque où nous tenterions de retrouver nos origines. Humanité de pacotille !

J’ai peur, tout à coup. Cela va trop loin. Parler de la pluie et du beau temps me paraît soudain essentiel.

Cette liste non exhaustive des désordres et désagréments dont nous pourrions être victimes si d’aventure nos faiseurs de lois, si prompts à décréter n’importe quoi, venaient à s’emparer de l’affaire, me glace les sangs.

C’est pourquoi je vous en conjure : parlez-moi encore et toujours du mauvais temps, et, pour réchauffer mon corps et mes idées, que le soleil brille ! …enfin !!!

Jean-Marie Dumarquez